Le gîte et le couvert 5

Dans l’u­sage, of­frir à quel­qu’un le gîte et le cou­vert, c’est lui of­frir un en­droit où pas­ser la nuit (le gîte) et de quoi man­ger (le cou­vert). Bien que le cou­vert puisse s’en­tendre comme tout ce que l’on dis­pose sur la table en vue d’un re­pas, dans cette ex­pres­sion il s’a­git de ce que l’on ap­pelle une sy­nec­doque, c’est-à-dire une fi­gure de style consis­tant à don­ner à un mot un sens plus large ou plus res­treint que ce­lui qu’il a or­di­nai­re­ment. Ici, le cou­vert dé­signe non pas les us­ten­siles qui nous servent à man­ger, mais le toit cou­vrant une ha­bi­ta­tion. On lui donne donc un sens plus large ; on em­ploie la par­tie pour dé­si­gner le tout. Le sens de cou­vert est ici à rap­pro­cher de ce­lui que l’on trouve dans l’ex­pres­sion « le clos et le cou­vert », qui est, dans la loi, ce que doit le bailleur à son lo­ca­taire : la clô­ture (la fer­me­ture : murs, portes, fe­nêtres…) et la toi­ture, soit tout ce qui per­met au lo­ge­ment d’être sain et bien isolé afin de ré­sis­ter aux intempéries.

Dire que l’on offre « le gîte et le cou­vert » re­vient donc à dire que l’on offre « l’en­droit où pas­ser la nuit et le toit », ce qui est un pléonasme…

L’ex­pres­sion cor­recte est « le vivre et le cou­vert », où vivre a le sens de nour­ri­ture, et cou­vert ce­lui de toit.

La langue évo­luant, il est fort pro­bable que le sens ré­cent de cou­vert dans « le gîte et le cou­vert » sup­plante son sens pre­mier, et dans ce cas on pourra em­ployer cette ex­pres­sion dé­ri­vée sans craindre le pléonasme.

Si nous pous­sions la ré­flexion jus­qu’à at­teindre les li­mites de l’im­pro­bable, nous di­rions que la confu­sion pour­rait un jour por­ter non plus sur le sens de cou­vert (qui se­rait alors ac­cepté comme dé­si­gnant le re­pas), mais sur ce­lui de gîte, qui dé­signe éga­le­ment une par­tie (co­mes­tible) de la jambe ar­rière des bo­vins. Naî­trait alors un nou­veau pléo­nasme (tou­jours par sy­nec­doque) si­gni­fiant cette fois « la nour­ri­ture et le re­pas »… À moins que cou­vert ne re­trouve entre-temps son sens ori­gi­nel ; l’ex­pres­sion se­rait alors à nou­veau re­ce­vable. Il s’a­git bien sûr d’une évo­lu­tion fan­tai­siste, mais qui a le mé­rite de mon­trer l’im­por­tance du sens des mots.

Mieux vaut donc s’en te­nir à l’ex­pres­sion cor­recte si l’on sou­haite être sûr de ne man­quer de rien.

 

5 thoughts on “Le gîte et le couvert

  1. Aude Avr 28,2013 21:48

    Très in­té­res­sant.
    Et bravo pour la chute mon cher 😉

  2. Correctissimo Avr 29,2013 13:09

    C’est un plaisir 🙂

  3. Pierre Oct 13,2015 20:40

    Bon­jour et fé­li­ci­ta­tions pour cette ex­pli­ca­tion. Je suis venu sur votre blog parce que je viens de lire un ar­ticle dé­non­çant les nou­veaux pléo­nasmes de la langue fran­çaise et ci­tant “le gîte et le cou­vert” comme un pléo­nasme an­cien, passé dans l’u­sage. J’a­vais en­tendu une autre ex­pli­ca­tion de cette ex­pres­sion et qui ne pas­sait pas par le pléo­nasme ap­pa­rem­ment créé par la no­tion de gîte (abri…) avec celle de cou­vert (toit…) que vous dé­fi­nis­sez par­fai­te­ment, mais rap­pro­chait le mot “cou­vert” de l’ex­pres­sion “mettre le cou­vert” qui au­rait voulu dire au­tre­fois “ap­por­ter ce qui re­couvre la table” (la nour­ri­ture donc…) et qui s’est conservé dans les cou­verts (four­chettes, cuillers, cou­teaux…). À cette époque la table n’é­tait pas un meuble plus ou moins fixe, mais un pan­neau que l’on po­sait sur des tré­teaux là où l’on sou­hai­tait manger.
    Je sou­mets donc cette ex­pli­ca­tion à votre sagacité.
    Bonne soirée

  4. Correctissimo Oct 14,2015 17:48

    Bon­jour Pierre, et merci pour votre mes­sage. Votre ex­pli­ca­tion est in­té­res­sante, mais elle est ex­trê­me­ment proche du pléo­nasme dé­noncé (et at­testé par les dic­tion­naires). En outre, dans l’ex­pres­sion “mettre le cou­vert”, ce der­nier terme dé­signe au dé­part non pas “tout ce qui re­couvre la table”, mais le linge ser­vant de “cou­ver­ture” ou de “cou­vercle” dis­posé par-des­sus les plats, pour si­gni­fier qu’ils avaient été pré­ser­vés de tout em­poi­son­ne­ment. Ce qui re­joint un peu l’i­dée de “toit” ser­vant à protéger.

    Par ailleurs, le pa­ral­lèle avec l’ex­pres­sion “le clos et le cou­vert” ne laisse, il me semble, au­cun doute sur le sens ori­gi­nel de ce mot (la cou­ver­ture, la toiture).

    Bien à vous

  5. JP Cheval Nov 18,2016 15:34

    Heu­reux de voir dé­non­cer ce stu­pide pléo­nasme, que l’on re­trouve, hé­las, sous la plume d’au moins un aca­dé­mi­cien, ainsi que sous celle d’un “émi­nent phi­lo­logue”, au­jourd’­hui dé­cédé. La pro­fes­sion de cou­vreur de­vrait pour­tant at­ti­rer l’attention.
    Par ailleurs, une autre ex­pres­sion in­cor­recte sé­vit de­puis des an­nées: “sous cou­vert de”, au lieu de “sous LE cou­vert de”, et où, s’a­gis­sant de cour­rier, cou­vert si­gni­fie en­ve­loppe. Le mot nous a d’ailleurs été em­prunté dans ce sens par nos voi­sins ger­ma­no­phones (suisses et cer­tains allemands.)
    “Sous le cou­vert de Mr X” si­gni­fie “à l’a­dresse de Mr X”, “aux bons soins de Mr X.”
    Le comble de l’i­gno­rance est alors at­teint dans l’ex­pres­sion “sous cou­vert d’a­no­ny­mat”, qui, outre sa construc­tion dé­fec­tueuse, est to­ta­le­ment absurde.

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